Texte de Jean-Paul GAVARD-PERRET sur les œuvres de l’ artiste Odile ESCOLIER ( septembre 2006)
« Le sens ce n’est pas ce que cela veut dire, c’est ce vers quoi ça va ».
Après ses premiers travaux à l’aquarelle Odile Escolier a trouvé dans les encres, le pastel puis l’acrylique, les pigments et les collages sur toiles ou papiers de grands et petits formats l’espace d’un d’étrange voyage dans lequel paradoxalement souvent les nomades semblent immobiles et deviennent des sentinelles égarées mais plutôt paisibles et bienveillantes au sein de déserts des tartares le plus souvent structurés et cadrés de manière relativement proche, sans horizon si bien que les silhouettes évoque à la fois des créatures piégées devant un fond murs de couleurs et des mouches collées sur une vitre.Ces personnages semblent accepter leur sort en se démarquent d’un tel décor – aussi neutre que suggéré – par effet de matière qui font de leur silhouette des structures en quasi relief lorsque l’artiste travail le pigment, la matière dense. Les encres témoignent certes d’une technique plus plate mais permettent à travers leur figuration de faire surgir un rythme. Dans les deux cas, ces sentinelle s semblent portées par la fatalité de leur destin sans s’inquiéter outre mesure comme si elles témoignaient de la condition humaine à la recherche d’un équilibre précaire.A travers un tel univers Odile Escolier semble non seulement se découvrir mais ose affirmer ce qu’il existe de plus profond en l’être à travers sa figuration paradoxale. Elle peint probablement pour nous et découvrir aussi son propre » bien » qu’elle possédait sans le savoir . Les territoires peuplés de dépeupleurs ouvrent ainsi à un au-delà ou à un en deça, bref à un lieu où l’inconscient s’exprime hors des mots, entendons de ce qu’ils ne pourraient dire.Les corps ébauché deviennent des enveloppes gonflées (mais jamais de leur orgueil) tant ils semblent devenir cloaques et comme chassés d’eux-mêmes par la matière qui pourtant leur donne existence. De la sorte, non seulement Odile Escolier trouve par les dépôts et des dépositions, le moyen d’ébaucher des corps mais elle atteint une sorte de saturnisme contre toutes les images létheénnes du monde. Par ses transpositions plastiquent elle pratique le geste d’isolement et de séparation pour trancher afin demettre en demeure l’image de fomenter un univers aussi opaque que net, aussi équilibré que déséquilibré. Face aux couleurs d’un décor structuré mais le plus souvent esquissé est opposée et apposée la fragilité des êtres pris dans leur solitude ou leur rêverie insomniaque comme si toujours quelque chose leur échappait ou pouvait se passer de leur volonté et de leur maîtrise.Pourtant à travers ce qui pourrait sembler appartenir au registre d’une peinture fermée sur elle-même, l’oeuvre s’ouvre, laisse échapper ce et ceux qui sont retenus. C’est sans doute par la concentration du geste que quelque chose arrive, que l’espace culmine au moment où la fixité qui est bien là n’est cependant plus mesurable. Odile Escolier cherche donc sans cesse cette coïncidence « défaite » du lieu – ou de son impossibilité – afin d’atteindre un nœud étrange qui trahit du désespoir mais aussi du nerf. Elle saisit une forme de tache du désir contrarié par ce qui s’abîme en
lui. En conséquence, l’œuvre joue entre la rétention et la fuite, l’être et son absence car la créatrice trouve toujours une procédure de déplacement qui débouche sur une sorte de lexique inconnu du corps par un langage pictural qui dépasse les signes dans la mesure où il accepte une sorte de déshérence du trait, une nudité sans que ça passe par l’exhibition d’une quelconque obscénité. Plus particulièrement dans ses encres l’artiste ainsi jouer de la contradiction entre la proximité de la tache et la remotio du papier vierge. De la possible réserve d’informations elle passe à la vidange qui libère la pensée, qui rend licite le disegno lorsqu’il n’est pas tout à fait du dessin mais sa matière brute.
Odile Escolier dégorge ainsi la présence par divers technique de présentation de l’humain : Gonflé mais menacé, sans que cela produise chez lui une appréhension particulière, la sentinelle est certes présente mais s’absente d’elle-même : à ce titre elle n’est plus seulement égarée mais elle déserte et se déserte pour (qui sait ?) une sortie (purge et orgie) de l’émotion par adjuvant de matière, par capillarité vers une autre présence à elle-même, à l’autre (qu’elle côtoie parfois sans le toucher), au monde. L’artiste par ailleurs ne cherche et ne conserve que les tracés fuyants – eux-mêmes bloqués par cette capillarité du papier ou de la toile qui fait obstacle, qui crée des sortes de conglomérats en partie – mais en partie seulement – aléatoire. Il en va alors d’une marche aveugle. En chemin subsistent beaucoup de déchets. Mais ce n’est plus seulement la mort qui fait tache. La » tache » devient l’incident de naissance et l’incidence qui indécide le support au moment où la matière absorbe tout, menace ce que Michaux nomme » une intrigue « . L’excès programmé de matière devient alors un défaut dans la cuirasse. Il n’y a plus simplement un langage du corps par opposition à la pensée, mais aussi cette vacance, cette monstration altérée et altérante. Et c’est de la sorte que surgissent des masses compactes, amorphes, parcourues de limites indistinctes où quelque chose d’inédit, d’illisible peut avoir lieu et sens.
On se doute bien qu’à ce point de quasi rupture avec la figuration, l’image ne peut plus rassurer. Ne subsistent que les fantômes qui la hantent comme si leur représentation mettait en branle la part obscure du monde, mais dans le but qu’il renaisse de ses cendres vers ce qui n’est jamais dit de la nuit, de son noir de suie : non seulement une tombe mais aussi une grâce. C’est cela sans doute le plus grand mystère d’une quête où l’image quoique fixée n’est pas fixe. Les formes signalent la présence proche d’une sorte de disparition : l’être est là échappant à toute pose marmoréenne. C’est pourquoi dans le silence tout se passe ainsi : le corps ne peut aller plus loin, mais pourtant il avance.